Interrogatoire

11 et 12 janvier 1979

Les réponses à ce «questionnaire» ont d'abord été rédigées par le secrétaire après l'entretien. Il m'était permis de les modifier à ma guise.

L'ensemble des questions et des réponses devait ensuite être signé par S.E. le Cardinal Seper et par moi-même.

Les réponses publiées ici sont les réponses corrigées[24].

Dans l'ensemble les réponses étaient bien rédigées, il n'y a eu que peu de corrections ou modifications.

1. Dans une note préliminaire (12 juillet 1976) à une lettre adressée au Saint-Père, vous avez écrit :

«Qu'on ne s'y trompe pas, il ne s'agit pas d'un différend entre Mgr Lefebvre et le Pape Paul VI. Il s'agit de l'incompatibilité radicale entre l'Eglise catholique et l'Eglise conciliaire, la Messe de Paul VI représentant le programme de l'Eglise conciliaire».

Cette idée se trouve explicitée dans l'homélie prononcée le 29 juin précédent, durant la messe d'ordination à Ecône :

«Eh bien ! justement l'insistance que mettent ceux qui sont envoyés de Rome pour nous demander de changer de rite nous fait réfléchir. Et nous avons la conviction que précisément ce rite nouveau de la messe exprime une nouvelle foi, une foi qui n'est pas la nôtre, une foi qui n'est pas la foi catholique. Cette nouvelle messe est un symbole, est une expression, est une image d'une foi nouvelle, d'une foi moderniste... Or il est évident que ce rite nouveau est sous-tendu, si je puis dire, suppose une autre conception de la foi catholique, une autre religion... Tout doucement, c'est la notion protestante de la messe qui s'introduit dans la sainte Eglise». Question :

Doit-on conclure de ces affirmations que, selon vous, le Pape, en promulguant et imposant le nouvel Ordo Missae, et l'ensemble des évêques qui l'ont reçu, ont instauré et rassemblé autour d'eux visiblement une nouvelle Eglise «conciliaire» radicalement incompatible avec l'Eglise catholique ?

REPONSE :

J'observe tout d'abord que l'expression de l'«Eglise conciliaire» n'est pas de moi, mais de S.E. Mgr Benelli, qui, dans une lettre officielle, demandait que nos prêtres et nos séminaristes se soumettent à l'«Eglise conciliaire».

Je considère, qu'un esprit de tendance moderniste et protestante se manifeste dans la conception de la nouvelle Messe et d'ailleurs de toute la Réforme Liturgique. Les protestants eux-mêmes l'affirment et Mgr Bunigni lui-même le reconnaît implicitement lorsqu'il affirme que cette Réforme Liturgique a été conçue dans un esprit œcuménique. (Je puis préparer une étude pour montrer comment cet esprit protestant se trouve dans l'Ordo Missae).

(Note : S.E. Mgr Lefebvre remet à ce propos l'ouvrage de Louis Salleron : La nouvelle Messe, Paris, Nouvelles Editions Latines.)

2. Soutenez-vous qu'un fidèle catholique peut penser et affirmer qu'un rite sacramentel, en particulier celui de la Messe, approuvé et promulgué par le Souverain Pontife, puisse être non conforme à la foi catholique ou «favens haeresim» ?

REPONSE:

Ce rite en lui-même ne professe pas la foi catholique d'une manière aussi claire que l'ancien «Ordo Missae», et par suite il peut favoriser l'hérésie. Mais je ne sais pas à qui l'attribuer, ni si le Pape en est responsable.

Ce qui est stupéfiant c'est qu'un «Ordo Missae» de saveur protestante, et donc «favens haeresim», ait pu être diffusé par la Curie romaine.

3. Reconnaissez-vous que la doctrine du Concile de Trente sur le Sacrifice Eucharistique est expressément et absolument réaffirmée dans le N° 2 du Proemium de l'Institutio Generalis Missalis Romani promulguée par le Pape 'Paul VI ?

REPONSE :

Je reconnais que dans le Proemium de l'édition de 1970, la doctrine du Concile de Trente se trouve exprimée matériellement. Mais le fait qu'il ait fallu faire une adjonction montre bien le caractère incomplet de l'édition de 1969. D'autre part, l'ensemble des rites de la Messe est demeuré tel que dans l'édition de 1969.

4. Vous avez conféré le sacrement de Confirmation en divers diocèses, contre la volonté de l'Evêque du lieu, parfois même à des enfants qui l'avaient déjà reçu. Vous avez justifié ces actes en disant que la formule sacramentelle du nouvel «Ordo confirmationis» est souvent mal traduite ou écourtée, voire même omise, et qu'en certains diocèses, on ne confirme plus. Questions :

a) En conférant la Confirmation, quelle formule sacramentelle avez-vous vous-même employée ? (Si Mgr L. dit s'être servi de l'ancienne, lui demander s'il reconnaît la nouvelle comme valide, et si oui, pourquoi il ne l'a pas employée.)

b) Si les faits que vous avez cités pour justifier l'exercice de ce ministère étaient avérés, cela vous donnait-il le droit d'agir sans tenir compte de la discipline de l'Eglise fixée par le Droit ?

REPONSE:

ad a) J'ai employé l'ancienne formule sacramentelle. Mais je reconnais la validité de la nouvelle formule latine. J'utilise l'ancienne formule pour satisfaire au désir des fidèles.

ad b) «Salus animarum suprema lex». Je ne puis refuser le sacrement à des fidèles qui me le demandent. C'est à la demande des fidèles, attachés à la tradition, que j'emploie l'ancienne formule sacramentelle, et aussi par sécurité pour garder des formules qui ont communiqué la grâce durant des siècles d'une manière certaine.

5. Selon la doctrine catholique, il est interdit de réitérer la collation d'un sacrement imprimant un caractère si le ministre n'a pas la certitude de l'invalidité du rite sacramentel conféré antérieurement ou du moins un «prudens dubium» sur la validité de celui-ci. Question :

Comment vous êtes-vous assuré que chacun des enfants déjà confirmés l'avait été invalidement?

REPONSE:

J'ai interrogé chacun des parents et des enfants pour savoir s'ils avaient été confirmés, et comment ils l'avaient été. La majorité des enfants n'avaient pas été confirmés auparavant ; pour ceux qui l'avaient été, j'ai pu avoir un doute prudent sur la validité du sacrement qu'ils avaient reçu. J'ajoute que je ne fais des confirmations qu'avec répugnance, en retardant le plus possible, car je souhaite que les Evêques les fassent.

6. La réitération d'un sacrement sans qu'il y ait au moins un «prudens dubium» sur la validité est objectivement parlant un grave manque de respect envers le culte sacramentel. Question :

Vous êtes-vous rendu compte que vous couriez un tel risque ?

REPONSE :

Non, car comme je viens de le dire, j'ai interrogé auparavant parents et enfants, et j'ai pu ainsi avoir un «prudens dubium» sur la validité du sacrement administré antérieurement.

7. Dans votre réponse du 13.4.1978 à la S.C. et, plus explicitement dans votre opuscule Le coup de maître de Satan, p. 46-47, vous soutenez que les prêtres ordonnés par vous se trouvent, vu les circonstances actuelles (ambiance de la réforme liturgique entraînant des doutes sur la validité des sacrements), dans la nécessité où le Droit lui-même octroie les pouvoirs juridictionnels requis pour la validité des sacrements. C'est ainsi que, vous référant aux canons 882, 1098 et 2261 par. 2 vous leur reconnaissez le droit d'administrer le baptême, la pénitence, l'onction des malades et de recevoir le consentement des époux. Ce ministère est exercé dans les prieurés que vous avez établis de votre propre initiative en divers diocèses. Questions :

a) Quels sont les «auctores probati» qui partagent votre interprétation des canons susdits ?

b) N'est-ce pas penser et agir comme si la hiérarchie légitime n'existait plus et commencer à former, que vous le vouliez ou non, une communauté dissidente ?

REPONSE:

ad a) Dans mon interprétation, je conjugue les deux canons 882 et 2261, par. 2. Je me réfère également aux explications du traité de Jones. C'est une interprétation très large, mais qui se justifie par une situation exceptionnelle. On reconnaît dans ces canons l'esprit maternel de l'Eglise qui ne veut pas laisser les âmes dans le danger de mort éternelle.

ad b) On peut considérer que d'une manière générale, en certains pays, la Hiérarchie ne remplit plus son rôle. Il ne s'agit pas pour moi de créer une communauté dissidente, mais de faire que l'Eglise catholique continue, basée sur le Droit canonique et les grands principes théologiques.

8. Vous avez fondé ou pris la responsabilité de communautés religieuses, qui ne relèvent d'aucune autorité régulière ; vous avez ouvert un Carmel (Quiévrain) et vous vous apprêtez à fonder un monastère de moines cisterciens ; vous acceptez des frères auxiliaires et des coopérateurs ; vous n'hésitez pas à recevoir des professions religieuses. Question :

Qui vous a autorisé à faire tout cela ? Une telle activité de votre part est-elle conforme au droit canonique de la vie religieuse ?

REPONSE :

En ce qui concerne la Fraternité S. Pie X, ses statuts prévoient explicitement qu'elle peut comporter des frères auxiliaires et des religieuses.

Quant au Carmel de Quiévrain, ce n'est pas moi qui l'ait fondé ; c'est une initiative de ma propre sœur, qui a quitté son Carmel d'Australie avec l'autorisation de sa Prieure pour fonder un autre monastère.

Enfin je n'ai pas fait de fondation cistercienne, et je n'en prévois pas.

9. La «Pieuse Union» qui porte le nom de «Fraternité sacerdotale S. Pie X» fut érigée le 1er novembre 1970 par S. E. Mgr François Charrière, évêque de Fribourg. Questions :

a) Le statut juridique de la «Fraternité» vous permettait-il de procéder à des ordinations ?

b) Si oui, sur la base de quel canon ou de quel autre document juridique ?

REPONSE :

ad a) Initialement, je pense que non. Du reste, avant 1976, les membres de la Fraternité étaient incardinés dans divers diocèses. J'ai cependant eu un doute, d'abord lorsque S.E. Mgr Adam m'a dit que la Fraternité me permettait d'incardiner (ce que je n'ai pas fait à ce moment), et surtout lorsque le Cardinal Antoniutti a accordé à deux religieux prêtres un indult leur permettant de passer directement de leur ordre religieux à la Fraternité. C'est donc que la S. Congrégation pour les Religieux considérait que la Fraternité était en mesure d'incardiner. De toutes manières, avant 1976, je n'ai jamais procédé à des ordinations sans avoir de lettres dimissoires.

ad b) Sans objet.

10. a) Avant de procéder aux diverses ordinations diaconales et sacerdotales que vous avez faites, mais particulièrement avant celles du 29 juin 1976, aviez-vous reçu pour tous les candidats les lettres dimissoires prévues par le Droit ?

b) Si non, comment la connaissance des graves peines encourues en ce cas tant par l'évêque ordinant que par les séminaristes ordonnés ne vous a-t-elle pas retenu de procéder à ces ordinations ?

REPONSE :

ad a) Je viens de répondre affirmativement pour les ordinations antérieures à 1976. Pour celles du 29 juin 1976, c'est un point qu'il me faudrait vérifier.

Actuellement, je considère les séminaristes que j'ordonne comme incardinés à la Fraternité.

ad b) J'estime que toutes les mesures qui ont été prises contre moi sont illégales, et que par conséquent ni moi ni les séminaristes que j'ordonne ne tombons sous le coup des peines canoniques.

11. Avant de procéder aux ordinations du 29 juin 1976, vous avez été informé à deux reprises de la volonté expresse du Saint-Père que vous renonciez à ces ordinations. Questions :

a) S'il en est ainsi, sur quelles dispositions du droit vous fondez-vous pour légitimer les ordinations que vous avez faites ce jour-là ?

b) Vous rendiez-vous compte qu'en procédant à ces ordinations, vous aggraviez pour vous-même et les séminaristes ordonnés les responsabilités et les peines déjà encourues ?

REPONSE:

Je dois d'abord rappeler les raisons qui me font considérer les mesures prises contre moi comme illégales :

1. Le décret de suppression de la Fraternité Saint-Pie X ne devait pas être pris par S.E. Mgr Mamie, mais par le Saint-Siège.

2. On ne m'a communiqué aucun résultat ni aucun acte relatif à la visite apostolique effectuée au Séminaire d'Ecône.

3. La commission cardinalice devant laquelle j'ai été convoqué n'avait ni mandat ni objet précis ; malgré les promesses faites, on m'a refusé le procès-verbal et l'enregistrement des entretiens.

4. J'ai déposé un recours devant le Suprême Tribunal de la Signature Apostolique. Cinq jours après, une lettre du Cardinal Secrétaire d'Etat interdisait à ce Tribunal de donner suite à ma demande : il s'agissait là d'une pression du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire.

Pour toutes ces raisons, je ne pouvais considérer comme valides les décisions prises à mon égard.

ad a) je réponds donc que je ne reconnais pas comme légales les mesures prises contre moi ; d'autre part, je ne pouvais obéir à la volonté du Saint-Siège, car je ne pouvais pas vérifier quelle était exactement la volonté du Saint-Père.

ad b) sans objet.

12. Le 22 juillet suivant, vous avez reçu communication officielle de la suspense a divinis prise à votre endroit par le Saint-Père. Cette mesure disciplinaire vous a interdit la célébration de la messe, l'administration des sacrements et la prédication. Vous ne vous êtes pas conformé à ce nouvel ordre reçu. Questions :

a) Abstraction faite de votre responsabilité subjective, et donc des censures qui peuvent ou non peser sur votre conscience, reconnaissez-vous que, au for externe, vous êtes atteint de la peine de suspense, et donc obligé à vous comporter publiquement comme tel ?

b) Si non, pourquoi ?

c) Si oui, quelle justification donnez-vous à votre comportement, qui cause et maintient le scandale dans l'Eglise ?

REPONSE :

ad a) Non, je ne reconnais pas que je suis atteint de la peine de suspense, pas même au for externe.

ad b) La raison en est que toutes les mesures qui ont été prises contre moi (depuis novembre 1974) sont illégales et invalides. La première mesure l'est en effet d'une manière évidente, et les autres ne sont que les conséquences de la première.

ad c) Le scandale qui existe, c'est la destruction de l'Eglise, et non pas ce que je fais. Je crois au contraire que mon action a servi à l'Eglise, en suscitant des réactions à cette destruction.

13. Le Premier Concile du Vatican a défini que le Pontife romain a «un pouvoir plénier et souverain de juridiction sur toute l'Eglise, non seulement en ce qui touche à la foi et aux mœurs, mais encore en ce qui touche à la discipline et au gouvernement de l'Eglise» et que ce pouvoir est ordinaire et immédiat «sur tous et chacun des pasteurs et des fidèles» (DS, 3064). Questions :

a) Acceptez-vous ces affirmations comme dogme de foi ?

b) A supposer - dato non concesso - que le Pape fasse des erreurs, pensez-vous qu'il perd pour autant son pouvoir de juridiction ?

REPONSE :

ad a) Oui.

ad b) Non, je ne le pense pas s'il s'agit d'erreurs dans le gouvernement et la discipline. Il est clair qu'on ne peut le suivre dans ses erreurs, surtout si elles ont des conséquences pour la foi.

D'autre part, il faut savoir si c'est le Pape qui commande. Mon incertitude sur la volonté réelle du Pape se base sur le fait que pendant longtemps, j'ai été empêché de voir le Pape Paul VI, et que, lorsque je l'ai rencontré, j'ai constaté qu'on m'avait calomnié auprès de lui.

14. 1) N'opérez-vous pas dans les textes de Vatican II une sélection, en rejetant non seulement des mesures disciplinaires qui vous gênent, mais aussi des affirmations doctrinales que vous considérez comme contraires à la foi ?

2) Selon quel principe déterminez-vous ce qui peut être retenu ou ce qui doit être refusé ?

3) Qui détermine en dernier ressort dans l'Eglise ce qui est conforme à la Tradition et ce qui ne l'est pas ?

4) En critiquant publiquement le concile Vatican II et en majorant progressivement vos accusations contre lui, n'avez-vous pas jeté le discrédit sur les autorités magistérielles suprêmes, le Pape et les Evêques réunis en concile sous son autorité ? Et n'avez-vous pas contribué à diviser les catholiques ?

REPONSE :

ad 1) Je suis prêt à signer une déclaration acceptant le Concile Vatican II interprété selon la Tradition. J'estime qu'il y a dans certains de ses textes des choses qui sont contraires à la Tradition et au magistère de l'Eglise, tel qu'il s'est exprimé précédemment, cela notamment dans la Déclaration sur la liberté religieuse.

ad 2) Selon la Tradition.

ad 3) C'est le magistère de l'Eglise. Mais ici, j'observe :

       a) que le Concile Vatican II doit être compris comme un magistère pastoral ;

       b) qu'après ce Concile, il n'y a eu ni de la part du Pape ni de la part de la Commission pour l'interprétation des             décrets du Concile Vatican II des actes établissant une détermination authentique des textes conciliaires, en par            ticulier de ceux qui concernent la liberté religieuse.

ad 4) Je ne le pense pas. Toutefois si mes critiques ont pu apparaître plus fortes après le Concile, c'est en raison de son application dans des réformes qui ont confirmé les craintes d'une interprétation des textes du Concile dans un sens libéral et progressiste.

Si dans mes discours des expressions un peu outrancières peuvent avoir été prononcées, il faut tenir compte du genre littéraire. Mais on ne peut pas interdire à quelqu'un de critiquer un texte, même s'il atteint, du fait même, indirectement les autorités. Ce sont les autorités qui devraient expliquer davantage les textes du Concile dans le sens de la Tradition. Enfin, je ne divise pas les catholiques. Je crois que c'est le Concile qui a été l'occasion, pour des divisions qui existaient auparavant dans l'Eglise, de se manifester d'une manière cruciale[25].

15. Le canon 1325, par. 2, qui traite du schisme, s'exprime de la façon suivante : «Post receptum baptismum, si quis (...) subesse renuit Summo Pontifici aut cum membris Ecclesiae ei subiectis communicare recusat, schismaticus est». Question :

En quoi votre manière concrète d'agir diffère-t-elle du comportement schismatique défini par ce canon ?

REPONSE :

Je ne refuse pas d'être soumis au Souverain Pontife. La meilleure preuve en est ma récente visite au Saint-Père et ma présence ici. Je pense qu'il est permis, comme l'ont fait bien d'autres personnes au cours de l'histoire, de manifester des réticences vis-à-vis de certaines décisions du Pape et de la Curie romaine. Mais je fais cela par amour de l'Eglise et du Successeur de Pierre, en souhaitant que les choses s'arrangent au plus vite, et ne me considère pas comme un chef de file.

Du moment que l'infaillibilité pontificale n'est pas engagée, l'exposé public de ses difficultés de la part d'un Evêque ne constitue pas un délit de rébellion, s'il s'appuie sur la Tradition. Les difficultés que j'oppose à l'ensemble de la réforme liturgique tiennent compte du fait que le Pape Paul VI considérait celle-ci comme une réforme disciplinaire.

16. Dans votre lettre du 13.4.1978 à la S. C., vous avez fait des «Considérations générales sur la situation de l'Eglise depuis le Concile Vatican II qui, seules, permettent une réponse adéquate aux questions posées au sujet de l'Ordo Missae, au sujet de votre persévérance dans l'activité de la Fraternité Sacerdotale S. Pie X, malgré les interdictions reçues des évêques et de Rome».

Sur la base de ces considérations, votre position nous semble pouvoir être exprimée dans la thèse suivante :

Un évêque, jugeant en conscience que le Pape et l'Episcopat n'exercent plus en général leur autorité en vue d'assurer la transmission fidèle et exacte de la foi, peut légitimement, pour maintenir la foi catholique, ordonner des prêtres sans être évêque diocésain, sans avoir reçu de lettres dimissoires et contre la prohibition formelle et expresse du Pape, et attribuer à ces prêtres la charge du ministère ecclésiastique dans les divers diocèses.

Questions :

a) Cette thèse exprime-t-elle correctement votre position ?

b) Cette thèse est-elle conforme à la doctrine traditionnelle de l'Eglise à laquelle vous entendez vous tenir ?

REPONSE[26] :

ad a) Non. Je n'ai pas agi en partant d'un principe comme celui-là. Ce sont les faits, les circonstances où je me suis trouvé, qui m'ont contraint à prendre certaines positions, et en particulier le fait que j'avais dans la Fraternité Saint-Pie X une œuvre déjà légalement constituée et que je devais continuer.

ad b) Je pense que l'histoire peut fournir des exemples d'actes semblables posés, en certaines circonstances, non pas contra, mais praeter voluntatem Papae. Toutefois, cette question est trop grave et trop importante pour que je puisse répondre immédiatement. Je préfère donc suspendre ma réponse.

Réponse écrite donnée par Mgr Lefebvre le lendemain 13 janvier 1979

Dans le cas où la Curie Romaine diffuse des documents ou accomplit des actes qui sont inspirés par un esprit libéral et moderniste, c'est le devoir des Evêques de protester publiquement et de s'y opposer.

De même si les Universités catholiques et les Séminaires sont eux-mêmes infestés de libéralisme et de modernisme, c'est le devoir des Evêques de fonder des Séminaires où est enseignée la doctrine catholique.

Si des contrées entières tombent dans le modernisme, le libéralisme, le marxisme et que les fidèles conscients du danger que court leur foi demandent le service de prêtres fidèles pour eux et leurs enfants, c'est un devoir pour des Evêques demeurés catholiques de répondre à leur appel.

Saint Athanase, Saint Eusèbe de Samosate, Saint Epiphane ont affirmé et agi selon ces mêmes principes qui vont de soi lorsque la situation de l'Eglise est catastrophique.

Il est aussi évident que ces Evêques doivent s'efforcer d'aider le Souverain Pontife à porter remède à cette situation.

17. Comment envisagez-vous le retour à une situation normale pour vous-même, pour les prêtres, les séminaristes et les fidèles qui se réclament de vous?

1) Qu'est-ce que vous estimez pouvoir solliciter et espérer :

       a) de la part du Saint-Siège : en ce qui concerne vos séminaires, vos prieurés et la célébration de la Messe de     saint Pie V?

       b) de la part des Evêques et des Conférences épiscopales sous leur dépendance?

2) Qu'êtes-vous disposé à faire, vous-même, dans ce but ? Quels engagements êtes-vous prêt à souscrire ?

       a) en ce qui concerne les œuvres établies par vous, notamment les séminaires et les prieurés?

       b) en ce qui concerne votre enseignement (sur la Messe et le Concile...) et votre comportement (ordinations,             confirmations, célébrations eucharistiques, etc.).

REPONSE :

ad 1) a- La Fraternité S. Pie X comprend à la fois les séminaires et les prieurés ; son but consiste dans la fondation de séminaires (selon l'esprit du Concile, c'est-à-dire de type international en vue d'une meilleure répartition du clergé, et avec une année entière de spiritualité), dans la formation sacerdotale, dans l'aide spirituelle aux prêtres, dans l'ouverture de maisons pour exercices spirituels. Je souhaiterais obtenir que cette Fraternité soit reconnue comme une société de vie commune sans vœux, de droit pontifical, en dépendance de la S. Congrégation pour les Religieux. Cela implique que je demande que puissent continuer tant les séminaires que les prieurés : ceux-ci, qui ont été établis à dessein à la campagne, se veulent à la disposition des Evêques principalement pour l'apostolat des exercices spirituels et le soutien spirituel des prêtres. Je vous remettrai un exemplaire des statuts de la Fraternité. Enfin, pour ce qui concerne la liturgie, je demande que les membres de la Fraternité Saint-Pie X :

       - puissent utiliser pour la célébration de la messe l'Ordo de saint Pie V, étant entendu qu'ils ne célébreraient que             selon celui-ci ;

       - puissent utiliser les anciens rites liturgiques ;

       - et en particulier soient ordonnés selon l'ancien rituel des ordinations, qui comprend la tonsure et les ordres mi            neurs.

ad 1) b- Je suis prêt à aller voir les Evêques des diocèses où la Fraternité a une fondation. J'attends d'eux qu'ils reconnaissent les prieurés selon le Droit, et acceptent le ministère accompli par les membres de la Fraternité qui s'y trouvent.

ad 2) a- Je suis prêt à souscrire les engagements imposés par le Droit, sans demander de privilèges particuliers. Je puis accepter une phase transitoire, comportant par exemple la nomination d'un Délégué pontifical.

ad 2) b- Comme je l'ai dit plus haut (sub 14, 1), je suis disposé à signer une déclaration acceptant le Concile Vatican II interprété selon la Tradition. En ce qui concerne mon enseignement sur la Messe, il ne peut être que celui qui est conforme au Magistère traditionnel de l'Eglise. Quant à ce qui regarde mon comportement, dans l'hypothèse de la normalisation, je me conformerai aux prescriptions du Droit. De plus, je puis accepter de suspendre les ordinations et les confirmations pendant plusieurs mois s'il y a une certitude de réponse favorable à la demande précédente. C'est du reste une proposition que j'avais déjà faite dans le passé.



[24] Sur la signature et la remise de ces réponses, voir la Note explicative à la fin du présent fascicule.

[25] Ici comme ailleurs dans ce procès-verbal, c'est le résumé, approuvé par lui, de la réponse de Mgr Lefebvre. Dans l'introduction au présent recueil, il donne lui-même une version plus complète de ce qu'a été sa réponse sur ce point. (Note d'ITINÉRAIRES).

[26] La première réponse orale de Mgr Lefebvre à ces questions fut : - Vous me tendez un piège. Elle était déjà, à elle seule, suffisante. (Note d'ITINÉRAIRES).